mnémociné
Le film commençait. Je me suis demandé si j'étais bel et bien dans la bonne salle. En effet, je m'attendais à retrouver l'ambiance feutrée des salon londoniens de l'époque victorienne à son automne, et me voici dans une ambiance de far west, au plus profond d'une mine. Entre parenthèses, le charme des corps virils dans le clair-obscur des entrailles de la terre constituait une mise en appétit fort sympathique. Revenons à ces premières images : un personnage très élégant, incontestablement fascinant, de haute taille, vêtu de façon excentrique, à la silhouette un peu épaisse, et pourtant chaloupée, crève tout de suite l'écran : Oscar Wilde.
Nous accompagnerons tout au long du film l'écrivain, d'origine irlandaise (né à Dublin ; circonstance défavorable pour lui — aspect souvent oublié, lors de son procès se déchaînèrent non seulement des réactions homophobes mais également nationalistes anti-irlandaises) : de sa découverte émerveillée du plaisir, donc de ses passions, aux évènements funestes qui le détruisirent, en somme à sa passion.
L'interprétation se montre à la hauteur du défi. La désinvolture tragique qu'exprime le personnage de Wilde, se hâtant lui-même lentement, si je puis dire, vers son supplice, est rendue avec élégance par Stephen Fry, non seulement comédien talentueux mais encore écrivain intéressant. On admire le physique parfait du jeune Jude Law, mais également Michael
Jude Law
Sheen qui campe un Robbie Ross très attachant (étudiant canadien qui fut le premier amant du cher Oscar et demeura un ami très fidèle). Au passage, Ioan Gruffudd (ci-dessous) fait une apparition troublante, comme à l'accoutumée, dans le rôle de John Gray, jeune homme d'une beauté fascinante et que Wilde connut également charnellement. Ce patronyme de "Gray" fut d'ailleurs donné au célèbre personnage imaginaire dont la juvénilité séraphique demeure inentamée malgré les turpitudes morales qu'il multiplie ("Dorian", son prénom, est une allusion à ce peuple dorien qui cultivait les amours masculines).
La relation très tourmentée qui unit Sir Alfred Douglas (Jude Law) et l'écrivain est présentée avec beaucoup de finesse et un érotisme très esthétique. On apprécie également l'amitié plus stable, très belle même, entre Wilde et Ross qui l'accompagne jusqu'au bout de son itinéraire douloureux. Grâce, encore une fois, à la sensibilité délicate de Michael Sheen (ci-dessous).
J'ai également trouvé d'un très grand intérêt la confrontation entre Wilde et Lord Queensbury, duquel tout le malheur est arrivé. Ce dernier, à la fois brutal et secrètement travaillé par un penchant homosexuel qu'il se refuse, est d'une certaine façon fasciné par Wilde : d'où la haine viscérale qu'il lui porte. L'un des moments les plus intéressants du film : celui de la rencontre à table entre les deux futurs adversaires. Par certains côtés, une réelle connivence associe ces deux esprits forts. Pas pour très longtemps néanmoins.
Le film nous présente aussi Wilde, bon père de famille et époux bienveillant. Les scènes bucoliques charmantes de promenade à la campagne, ponctuées d'extraits de ce petit joyau de féérie enfantine The Happy Prince and Other Tales, m'ont enchanté. Le film donne également un aperçu éclairant sur la relation de Wilde avec sa mère. L'humour british de Fry fait le reste.
On reste pourtant toujours un peu sur sa faim lorsqu'un film adopte tel ou tel angle de présentation d'une figure aussi paradoxale et irréductible à bien des égards que celle de Wilde. A certains moments, on a l'impression que Brian Gilbert multiplie les scènes de salon et fait du "sous-Ivory" (en référence au cinéaste américain qui recrée des situations et des atmosphères, avec un certain génie je dois dire).
Pourtant, on est touché par l'évocation tragique du procès et de la déchéance physique de Wilde comme rendue encore plus visible par les cheveux coupés court. On est ému par les citations du De Profundis, lettre d'amour dolente de Wilde en son cachot à Bosie (Law), qu'il voudrait tuer, car il l'aime. Un goût de mélancolie, sinon de misanthropie, nous envahit alors. Wilde avait écrit : "quand il a créé l'homme, Dieu a surestimé ses possibilités".
Le film montre de façon très didactique, trop peut-être, les dommages collatéraux de la négation de sa vraie nature en raison d'une pression sociale inique, destructrice, et peut-être criminelle. Cette vision noire n'éteint pas l'espérance. Oscar nous redonne confiance : " nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d'entre nous regardent les étoiles".
Wilde, film de Brian Gilbert (1997). Avec Stephen Fry (Wilde), Jude Law (Bosie), Vanessa Redgrave (la mère d'Oscar), Michael Sheen (Robbie), Tom Wilkinson (Queensbury) et Ioan Gruffudd (Gray).
Une dernière photo, Stephen Fry aujourd'hui :
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